Le taux d’élimination de la dioxine chez Juschtschenko

Elimination plus rapide que prévue

4 août 2009 | BEATRICE HUBER
En 2004, l’actuel président de l’Ukraine, Viktor Juschtschenko, avait subi un grave empoisonnement par de la dioxine. Afin d’étudier les mécanismes de la détoxification du corps humain, des chercheurs de l’Empa ont analysé plus de 100 prélèvements effectués sur ce politicien. Pour la première fois, ils sont parvenus à identifier les produits de dégradation de ce toxique.
https://www.empa.ch/documents/56164/286256/a592-2009-08-05-b1s+Juschtschenko.jpg/10bd4762-6b1a-457a-8fcc-51371cb0b190?t=1448298689000
 

Légende: 15 mai 2009 à Zurich – Les marques d’empoisonnement par de la dioxin sont disparues du visage de Viktor Juschtschenko. (Source: Jürg Vollmer / maiak.info)

 

La dioxine est considérée comme un polluant environnemental extrêmement toxique qui ne se dégrade que très lentement. Dans le cas du président ukrainien Viktor Juschtschenko, les chercheurs du laboratoire «Analytische Chemie» de l’Empa ont suivi – en collaboration avec des médecins de l’hôpital universitaire de Genève – comment la dioxine était dégradée et excrétée par le corps humain. Ce travail a été publié le 5 août «Online First» par la revue scientifique médicale anglaise «The Lancet». «Nous sommes parvenus pour la première fois à identifier et aussi à quantifier chez l’homme les produits de dégradation de la dioxine», explique en résumé l’expert de l’Empa Markus Zennegg qui a effectué la majeure partie des analyses. Ces chercheurs ont localisé le tractus digestif comme étant la voie d’excrétion principale, ce que l’on connaissant déjà par des essais sur l’animal. Par contre, ils ont trouvé que la demi-vie de la dioxine, avec environ 16 mois, était notablement plus brève que les valeurs de cinq à dix ans connues jusqu’ici. La dose élevée avait ici manifestement incité le corps à augmenter sa production des enzymes responsables de la dégradation de la dioxine.

 

Ce travail n’a été rendu possible que grâce à la coopération de Viktor Juschtschenko qui a autorisé la publication des résultats et avait accepté de subir durant trois ans dans les hôpitaux de Kiev et de Genève plus de 100 prélèvements de sang, d’urine, de selles, de sueur, de kystes cutanés et de tissu adipeux.

 

«The Dirty Dozen»
Les dioxines constituent tout un groupe de substances; la 2,3,7,8-tétrachlorodibenzo-p-dioxine (en abrégé TCDD) est la plus toxique d’entre elles. Les dioxines n’ont aucune application technique. Elles se forment comme produits accessoires indésirables lors des processus de combustion, par exemple lors de l’incinération des ordures. Les dioxines sont extrêmement stables et persistent très longtemps dans l’environnement. Elles font partie de ce que l’on dénomme «The Dirty Dozen», (d’après le titre d’un film américain des années soixante) qui est un groupe de polluants organiques très persistants comprenant entre autres aussi des pesticides dont la production et l’utilisation ont été interdites en 2001 suite à un accord international, la Convention de Stockholm. Un symptôme aigu de l’intoxication par les dioxines est le chloracné, des kystes et des abcès cutanés marqués. D’autres organes, principalement le foie, sont aussi touchés.

 

Le dossier Juschtschenko: chronologie des événements
En automne/hiver 2004, des élections ont eu lieu en Ukraine pour la nomination d’un nouveau président. Viktor Juschtschenko, candidat prometteur pour cette fonction, dut abandonner sa campagne électorale suite à une maladie mystérieuse. Comme cela se révéla après trois mois, il s’agissait là d’un empoisonnement à la dioxine. Du fait de la rareté de telles intoxications, le diagnostic s’avéra difficile, mais le hasard apporta son aide. Le chloracné qui se manifesta clairement sur le visage de la victime conduisit finalement un médecin anglais sur la bonne piste. Deux laboratoires indépendants décelèrent par la suite dans son sang une concentration de dioxine dépassant plus de 50'000 fois celle de la population normale. Comme seule de la TCDD pure avait été décelée, il devait s’agir là d’un empoisonnement intentionnel avec de la dioxine produite par synthèse.

 

L’accident de Seveso et l’agent orange
Les modalités de l’empoisonnement et la dose extrêmement élevée font de l’affaire Juschtschenko un cas unique. Ce politicien n’est toutefois pas la première victime de la dioxine. En 1976 il se produisit un accident dramatique dans une fabrique de produits chimiques à Seveso en Italie du Nord. Un nuage de produits chimiques renfermant de grandes quantités de dioxine pollua une surface de 15 kilomètres carrés. La TCDD est depuis lors aussi dénommée «poison de Seveso» dans le langage courant. L’assainissement des sols et l’analyse critique des suites de cet accident prirent des années. Le défoliant, connu aussi sous le nom d’agent orange, fortement contaminé par de la dioxine utilisé à grande échelle durant la guerre du Vietnam par l’armée de l’air américaine provoqua lui aussi des intoxications.

 
 


 

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Rédaction / Contact médias

 
Littérature
«2,3,7,8-tetrachlorodibenzo-p-dioxin (TCDD) poisoning in Victor Yushchenko: identification and measurement of TCDD metabolites», O. Sorg, M. Zennegg, P. Schmid, R. Fedosyuk, R. Valikhnovsky, O. Gaide,. V. Kniazevych, J.-H. Saurat, The Lancet, Online First, Aug 5, 2009 (www.thelancet.com)