Les bâtiments comme puits de carbone

« Beyond Zero » : Construction pour le climat

23 août 2024 | ANNINA SCHNEIDER

Avec « Mining the Atmosphere », l'Empa propose rien moins qu'un changement de paradigme : passer d'une société émettrice de CO2 à une société fixant le CO2. Il s'agit d'utiliser le gaz à effet de serre comme une matière première précieuse – par exemple comme agrégat à base de carbone pour le béton ou comme matériau d'isolation thermique – et de le stocker à long terme. Dans l'unité NEST « Beyond Zero », de tels matériaux sont utilisés et testés pour la première fois. La recherche, l'industrie et la planification y travaillent main dans la main. Dans cette interview, Nathalie Casas (Empa), Corinne Reimann (Implenia) et Christoph Kellenberger (OOS) examinent ce projet d'avenir sous différentes perspectives.

https://www.empa.ch/documents/56164/31600492/EQ84-Beyond-stopper.jpg/b8bbe0f8-e635-f1e3-3020-b281c0fdb6a1?t=1720706967976
En discussion : Nathalie Casas, responsable du département « Energie, mobilité et environnement » et membre de la direction de l'Empa (au centre), Corinne Reimann, responsable Garantie, Implenia Suisse SA (à gauche) et Christoph Kellenberger, cofondateur et membre de la direction, OOS. Image : Empa

Nathalie Casas, pourquoi devons-nous agir ? Pourquoi a-t-on besoin de « technologies à émissions négatives«  (NET) ?

Nathalie Casas : Les émissions de CO2 augmentent chaque minute. Aujourd'hui, nous avons déjà émis trop de CO2 pour pouvoir atteindre l'objectif climatique de 1,5 degré. Cela signifie que nous devons agir ! Avec les NET, c'est-à-dire les « technologies à émissions négatives », nous pouvons extraire le CO2 excédentaire de l'air et nettoyer ainsi l'atmosphère de manière rétroactive. Outre les émissions historiques, il y aura toutefois aussi à l'avenir des émissions difficiles à éviter. Il s'agit d'émissions qui ne peuvent pas ou difficilement être réduites avec les technologies actuelles ou futures, comme les émissions de l'aviation ou de l'agriculture. Nous devons les compenser avec les NET.

L'initiative « Mining the Atmosphere«  a été lancée avec succès. La construction de l'unité « Beyond Zero » dans le bâtiment de recherche et d'innovation NEST à l'Empa est en cours de planification. Que faut-il faire ensuite ?

Nathalie Casas : Beaucoup de choses ! Le plus important, ce sont les actions : Nous devons passer du « Climate-Talk » au « Climate-Action » . Nous devons rendre commercialisables les nouvelles technologies qui se trouvent encore au niveau du laboratoire et mettre en œuvre celles qui sont déjà prêtes à être commercialisées. Avec l'unité NEST « Beyond Zero » prévue, nous faisons avancer les choses dans le secteur de la construction. Dans cette unité, de nouveaux matériaux qui réduisent les émissions CO2 ou qui sont déjà négatifs en termes de CO2 seront testés et mis en œuvre. Ces matériaux innovants fonctionnent en laboratoire, mais ils sont maintenant mis à l'échelle et prêts à être commercialisés. Cela soulève de nombreuses questions, par exemple : Comment sont-ils produits ? Existe-t-il des directives en la matière ? Il est important de travailler avec les bons partenaires.

Pourquoi est-il important d'impliquer des planificateurs dès le développement de nouveaux matériaux de construction, Christoph Kellenberger ?

Christoph Kellenberger : D'une part, nous, les architectes, déterminons avec le projet le principe de construction et donc les matériaux de construction pour un bâtiment. Il est donc utile d'associer les concepteurs au développement de nouveaux matériaux de construction, car cela permet d'intégrer des connaissances pratiques dans le processus d'innovation. D'autre part, nous pouvons également apporter de nouvelles connaissances au secteur de la planification et de la construction, et montrer pourquoi nous pouvons utiliser tel ou tel nouveau matériau de construction neutre ou négatif en termes de CO2. Il s'agit en effet de constituer maintenant ce réservoir de carbone dans le parc immobilier.

Comment évaluez-vous le potentiel économique des NET dans le secteur de la construction, Corinne Reimann ?

Corinne Reimann : Les NET sont une grande chance pour le secteur de la construction. En effet, elles permettent au secteur de contribuer de manière décisive à la durabilité, par exemple à l'aide de matériaux neutres ou négatifs en termes de CO2, comme le béton. Actuellement, le secteur est un peu à la traîne en matière de durabilité, mais il dispose d'un énorme levier avec de tels matériaux.

Quels sont les principaux défis de ce projet ?

Corinne Reimann : Si la fonctionnalité du nouveau béton est garantie, de sorte qu'il puisse être utilisé comme alternative au béton traditionnel, la quantité potentiellement utilisable est énorme. Ensuite, je ne vois comme obstacle que la rentabilité, c'est-à-dire le prix du nouveau béton. Et cet obstacle ne doit pas être sous-estimé : Car ce que l'on observe jusqu'à présent, c'est un manque de volonté de supporter des coûts supplémentaires. Cela se voit déjà à petite échelle, par exemple pour un robinet économiseur d'eau : si cela est rentable, tout le monde est partant, mais dès que cela devient plus cher, la volonté est malheureusement faible. Je suis d'avis que nous ne pouvons entamer cette transformation qu'à l'aide de subventions, car en fin de compte, le secteur de la construction doit agir de manière économique.

Christoph Kellenberger : Tout à fait. Mais comme je l'ai mentionné précédemment, je vois un autre point crucial dans la transmission des connaissances – bien sûr en plus des matériaux de construction, des produits et des principes de construction adaptés au marché. Il faut présenter de manière transparente et compréhensible comment ceux-ci peuvent être utilisés et quel effet ils permettent d'obtenir. Le moyen le plus simple de parvenir à une large utilisation est de dire que les nouveaux matériaux sont « nettement meilleurs » que ce qui existe actuellement sur le marché. Dans ce cas, de nouveaux fournisseurs pousseront ces nouveaux produits. Mais revenons-en à la transmission des connaissances : Je suis d'avis que nous devons d'une part montrer clairement au secteur de la planification et de la construction qu'avec environ 40% des émissions actuelles de CO2 pour l'exploitation et la construction, ils disposent d'un levier considérable pour la réduction des émissions de CO2. D'autre part, il faut de nouvelles solutions de construction simples et praticables pour l'utilisation de tels matériaux qui stockent le carbone dans le parc immobilier. Ces connaissances doivent être intégrées dans la pratique quotidienne.

Les effets dits de rebond entraînent une modification des comportements qui annule en partie les économies initialement réalisées. On observe souvent ce phénomène avec les mesures visant à augmenter l'efficacité énergétique. Comment évaluez-vous le risque d'un effet de rebond pour cette solution de réduction des émissions de CO2 ? Les NET pourraient-ils conduire indirectement à une augmentation des émissions de CO2, parce qu'on construirait alors quasiment « en toute bonne conscience » davantage ?

Nathalie Casas : En principe, cela ne doit pas arriver. Car même avec la meilleure technologie, il sera toujours plus coûteux d'éliminer les émissions que de les éviter. Filtrer le CO2 de l'atmosphère est lié à des coûts et à des efforts importants. Cette vérité des coûts doit être établie au niveau mondial. Nous pourrons ainsi éviter que des hypothèses erronées ne conduisent à une augmentation des émissions. Mais nous sommes encore très loin de cette vérité des coûts globale. C'est surtout la politique qui devrait intervenir. Mais ce n'est pas facile, car il s'agit d'une question mondiale. En d'autres termes, le problème est mondial, mais l'action est locale. Cela nous place devant de grands défis. Il s'agit donc dans un premier temps d'informer la population en conséquence. Car les NET ne sont en aucun cas une carte blanche pour émettre davantage de CO2.

Quelle contribution la société doit-elle apporter à cette transformation ?

Nathalie Casas : Nous avons besoin de tout le monde. Je suis d'avis que les pays leaders sur le plan économique et technologique comme la Suisse doivent montrer l'exemple. Cela peut paraître pesant quand on voit la montagne de tâches qui nous attend. Mais il est important de savoir que chaque petite contribution aide.

Et qu'en est-il de l'économie et de la politique ?

Christoph Kellenberger : La politique doit créer les conditions-cadres. Le moyen le plus rapide et le plus simple serait sans doute de passer par le porte-monnaie : les émissions de CO2 devraient recevoir un prix juste. Les matériaux et constructions du secteur de la construction devraient être classés comme puits de carbone certifiés. Cela permettrait une transformation rapide du secteur. Avec des connaissances nouvelles et déjà existantes, il est déjà facile de concevoir, de construire, d'édifier et d'exploiter un bâtiment neutre en CO2 tout au long de son cycle de vie. Comme nous pouvons malheureusement le constater, les autres approches ne fonctionnent que partiellement. Si les conditions-cadres restent inchangées, les nouveaux produits et les nouvelles méthodes de construction doivent simplement battre le marché. C'est également possible, mais c'est beaucoup plus exigeant.

Corinne Reimann : Je ne peux qu'être d'accord. En fin de compte, le secteur de la construction doit agir de manière économique. Il faut donc créer des conditions-cadres appropriées ou des subventions pour encourager l'utilisation de ces matériaux si nous voulons construire à grande échelle des bâtiments neutres en CO2 ou même négatifs en CO2. Mais dès que cela sera réglé, je pense qu'il ne faudra plus attendre des années pour que ces matériaux innovants s'imposent à grande échelle dans l'économie. En effet, ce nouveau béton peut, en l'état actuel des choses, être manipulé presque de la même manière que le béton traditionnel, c'est-à-dire que le secteur n'a pas besoin de procéder à de grands changements au niveau de son infrastructure et de ses chaînes d'approvisionnement.

Unité NEST « Beyond Zero »

L'unité NEST « Beyond Zero » promeut les innovations prometteuses en matière de réduction et de neutralisation des émissions de CO2 dans le secteur du bâtiment et montre si et comment les bâtiments pourraient servir de puits de carbone. L'unité utilise des matériaux de construction innovants développés à l'Empa, tels que le béton ou les matériaux d'isolation, qui peuvent lier le carbone. Le projet analyse également la faisabilité globale de ces technologies et montre comment la transformation de l'industrie de la construction pourrait être réalisée. « Beyond Zero » est actuellement en cours de planification. Plus d'informations :  nest.empa.ch/beyondzero


Rédaction / Contact médias

Annina Schneider
Communication
Tél. +41 58 765 4107

redaktion@empa.ch



Liens

Empa Quarterly #84
Journée portes ouvertes

Le 14 septembre 2024, l'Empa Dübendorf ouvrira les portes de ses laboratoires au public. Sur plus de 70 postes, les visiteurs découvriront en direct la recherche actuelle de l'Empa sur des thèmes tels que le changement climatique, la transition énergétique, la santé humaine et environnementale et bien d'autres encore. Les articles de ce numéro donnent un petit avant-goût de la diversité des matériaux et des technologies qui sont découverts, étudiés et développés dans les laboratoires de l'Empa. Envie d'en savoir plus ? Venez nous rendre visite le 14 septembre !

Lisez le numéro en ligne ou téléchargez le PDF.


Follow us


  • Imprimer
    •  
    •  
    •  
    •