Examen de matériau à la japonaise sur des épées historiques

Le polissage japonais dévoile les secrets de la forge des épées européennes

22 mars 2007 | DANIELA WENGER

Les sabres japonais sont considérés comme le summum de l’art de la forge ; ils étaient – et sont encore – fabriqués en acier plié et replié des milliers de fois. Les épées historiques européennes ne comportent quant à elles qu’environ une douzaine de couches. Cela est-il vrais ou n’est-ce là qu’une erreur d’évaluation ou un mythe? Les réponses à ces questions et à d’autres encore sur l’art de la forge des épées européennes et japonaises ont été fournies par l’archéologue Stefan Mäder lors d’une conférence tenue à l’Empa.

https://www.empa.ch/documents/56164/296595/a592-2007-03-22-b0s+stopper+MM-Schwert.jpg/ebc0a11d-4756-4812-b2be-349d945bb463?t=1448299656000
 

L’art de la forge des sabres japonais est aussi connu que les samurais. Les mythes entourant cette noblesse guerrière du Japon féodal ont contribué à ce que les lames japonaises soient considérées comme les meilleures au monde. Mais les points de comparaison manquent car on ne connaît quasiment rien de l’état originel des lames protohistoriques européennes. «Les épées provenant des fouilles archéologiques ne sont le plus souvent plus que des ruines de rouille» déclare le spécialiste des sabres et épées- et pratiquant du kendo – Stefan Mäder. Ces lames rouillées ne permettent pas de tirer des renseignements sur les propriétés du matériau ni sur les techniques de fabrication, comme le déclare cet expert. Mäder, qui étudie depuis plus de dix ans les aspects technologiques et culturels de la fabrication des sabres et des épées en Europe et au Japon et qui est chargé de cours à l’Université de Kogugakuin à Tokio, avait répondu à une invitation du Centre d’analyse des biens culturels de l’Empa à Dübendorf.

 
Size: 47 KB
Une lame alamane 6e siècle provenant de l’Allemagne du Sud après traitement avec la méthode kantei. En clair un acier trempé et en foncé un acier doux plus pauvre en carbone (photo S. Mäder).
 

Le kantei – une méthode japonaise d’évaluation des sabres

«L’archéologie européenne n’a jusqu’ici pas prêté attention aux techniques de ponçage et de polissage» déclare Mäder. Il en va tout autrement au Japon où au cours des siècles s’est développé une méthode d’expertise des sabres, dénommée «kantei». Cette méthode repose sur le ponçage et le polissage de la lame à l’aide de pierres au grain de plus en plus fin dans un bain d’eau basique. Peu à peu, avec ce polissage, la surface de la lame livre des informations sur les propriétés du matériau et la fabrication de la lame. Les experts japonais en matière des sabres peuvent «lire» dans la texture du forgeage et dans ce que l’on appelle la ligne trempe, de quelle époque et de quelle école de forge provient la lame et même quel est le forgeron qui l’a fabriquée. Le kantei ne fournit toutefois pas de réponses rapides. Le polissage de la totalité de la surface d’une lame nécessite deux à trois semaines. Cette méthode exige en plus du doigté. «Le polissage permet de distinguer les finesses d’une lame» explique Mäder. Pour les épées européennes il n’est pas pensable actuellement d’attribuer une lame à une école de forge, comme le précise Mäder. «Mais il serait possible de créer chez nous tout comme au Japon un système de classification des épées.»

 

Le kantei peut être considéré comme un prédécesseur de la métallurgie moderne. Il est toutefois supérieur aux tests modernes en ceci qu’il procède à un examen de la totalité de la surface de la lame; par contre les métallographes européens se contentent le plus souvent de prélever une petite éprouvette sur une lame. Le kantei ne suffit toutefois pas à lui seul à éclaircir les origines des épées européennes car on ignore pratiquement tout de leurs fabricants. Afin de combler cette lacune, le kantei pourrait être complété par des méthodes d’analyse modernes. L’Empa procède depuis les années 1980 à des analyses métallographiques sur des métaux archéologiques et c’est ainsi dans ses laboratoires que l’on a analysé la composition du fer de la plus ancienne épée découverte en Europe. Cette épée qui date du 8e siècle av. J.C. a été trouvée dans une tombe à incinération à Singen. «Nous comparons la composition chimique du fer des épées avec celle du minerai de plusieurs gisements de fer» explique Marianne Senn, experte en archéométallurgie et directrice du Centre d’analyse des biens culturels de l’Empa. «Il nous est ainsi possible attribuer une origine géographique déterminée au fer utilisé pour forger une épée. Cette attribution géographique facilite ensuite la définition des aires de production à l’aide de la méthode du kantei pour les lames d’épées européennes.»

 
Size: 47 KB
Coupe métallographique de la lame d’une épée de la Tène datant du 3e siècle av. J.C. L’attaque métallographique met en évidence la texture de forgeage (photo Empa).
 

Scepticisme parmi les européens

Stefan Mäder a appris la méthode kantei en 1996 avec le polisseur de sabre japonais Sasaki Takushi; il est ensuite retourné en Allemagne pour lancer un projet d’étude des surfaces des lames des épées européennes.

 

Il a convaincu ses bailleurs de fond, tout d’abord hésitants, avec l’argument que les épées sont des témoins du développement des techniques artisanales et des technologies: «Les lames d’épées représentent à toutes les époques le plus haut point du développement de la technologie du fer et de l’acier.»

Il fut plus difficile de se procurer des lames d’épées anciennes. Les archéologues et les restaurateurs ne voulaient pas céder leurs trésors car ils croyaient que la méthode kantei allait provoquer une attaque trop importante des lames. Mais là aussi Mäder a pu les rassurer. «La méthode de ponçage et de polissage japonaise enlève moins d’un demi-millimètre de matériau corrodé de la surface de la lame». Et il avait encore un autre argument en faveur de la méthode kantei:«Il n’existe aucun autre objet archéologique qui n’ait été créé pour être poncé et poli autant de fois qu’une lame». Finalement le Musée national d’archéologie de Stuttgart a mis à sa disposition trois lames d’épées alamanes des 6e au 8e siècles ap. J.C. qu’il a emportées au Japon.

Des lames anciennes au brillant tout neuf

Mäder s’est en tout cas montré enthousiasmé par la  texture et la trempe de ces épées alamanes: «Ces lames présentent une structure complexe qui témoigne d’une très grande habileté manuelle». Les forgerons de l’époque ont assemblé dans une lame plusieurs aciers de qualités différentes qu’ils ont trempés en plusieurs étapes conférant ainsi à la lame des motifs ornementaux.

La lame qui a le plus étonné le chercheur Mäder est une lame de spatha romaine du 4e siècle ap. J.C., l’objet européen le plus ancien examiné jusqu’ici avec cette méthode. Cette épée a été confectionnée avec du fer très hautement raffiné. Raffiner signifie ici éliminer du fer les scories, le charbon de bois et les bulles de gaz. Pour cela le fer est replié sur lui-même, ce qui lui confère une structure multicouche. Plus le fer a été raffiné, plus il présente un nombre élevé de couches. Son analyse à livré à ce spécialiste des armes blanches un résultat qui l’a enflammé. «L’Europe protohistorique n’est pas si primitive que cela en ce qui concerne l’art de la forge des épées», déclare Mäder. «Il n’est donc pas vrai que nos épées ont été fabriquées à partir de fer mal raffiné. Sans polissage kantei on ne distinguait simplement pas que les épées européennes comportaient bien plus qu’une douzaine de couches seulement». Mäder a l’intention d’éclaircir en collaboration avec l’Empa le nombre exacts de couches de métal que comportent les sabres japonais et les épées européennes.


Auteure:
Daniela Wenger, Lab. de chimie analytique,

Informations:
Dr. Marianne Senn, Centre d’analyse des biens culturels, tél. +41 44 823 4131,