Des molécules qui s’arrangent d’elles-mêmes pour former de longues chaines parallèles sur une surface préparée

Du domino moléculaire aux nanofils

19 févr. 2007 | MICHAEL HAGMANN

En microélectronique, avec les progrès de la miniaturisation, la production des composants devient de plus en plus complexe et délicate. Tout deviendrait plus facile s’il suffisait de mélanger entre eux ses éléments pour que le composant s’assemble de lui-même. Auto-assemblage moléculaire c’est le mot magique qui fait battre plus vite le cœur des scientifiques. Et c’est dans ce domaine que récemment les chercheurs de l’Empa ont réalisé des progrès considérables; ils sont en effet parvenus à configurer deux molécules organiques de manière à ce qu’elles s’assemblent d’elle-même pour former de longues chaînes parallèles – autrement dit des nanofils - sur une surface d’or spécialement préparée. L’auto-assemblage précis sur des surfaces et les processus que cela implique ne sont pas importants pour l’électronique moléculaire mais aussi pour la catalyse hétérogène – comme par exemple dans les catalyseurs des voitures – ainsi que pour la sensorique.

https://www.empa.ch/documents/56164/296595/a592-2007-02-16-b1s+stopper+Nanowires.jpg/dbc167da-d76b-4e31-902d-e9251827de2b?t=1448299664000
 

Depuis quelques temps déjà les chercheurs parviennent à configurer certaines molécules de manière à ce qu’elles se fixent entre elles et forment des chaînes dans certaines conditions définies – par exemple sur des surfaces. Des chaînes qui restent toutefois assez courtes car les surfaces même les plus lisses présentent toujours au niveau atomique des inégalités telles que des gradins qui forment des obstacles insurmontables pour les molécules. Et comme normalement ces gradins hauts de quelques couches d’atomes seulement sont répartis au hasard sur les surfaces, les molécules s’agencent de manière très irrégulière sur ces surfaces. Ces inégalités ne peuvent se «voir», ou mieux se palper, que sous le microscope à effet tunnel. Dans ce microscope, une pointe ultrafine à laquelle est appliquée une tension électrique balaie la surface à examiner. Si la pointe se trouve suffisamment proche de la surface mais sans pour autant la toucher, il s’établit un courant, appelé courant tunnel, entre la pointe et la surface. Si ce courant est maintenu constant par réglage continu de la position de l’aiguille, on peut obtenir ainsi une image de la topographie de la surface examinée.

 
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Sous le microscope à effet tunnel: agencement régulier en gradins de 0.24 nanomètres de hauteur de 5.8 nanomètres de largeur sur une surface d’or spécialement préparée (surface représentée: 100 x 100 nm)
 

Mais que se passe-t-il si l’on oriente tous ces gradins de manière à ce qu’ils soient tous parallèles entre eux? C’est la question que se sont posés Roman Fasel et ses collègues. Théoriquement, les chaînes de molécules, qui se forment de manière préférentielle le long des arêtes des gradins, devraient elles aussi se disposer de manière à former un réseau de longues chaînes parallèles. La doctorante Marta Cañas-Ventura de l’EPFL qui effectue sa thèse à l’Empa et ses collègues ont préparé la surface d’un monocristal d’or pour obtenir de tels gradins réguliers. Après de nombreux cycles comprenant un bombardement d’ions d’argon - une étape de nettoyage qui élimine les impuretés les plus infimes de la surface – et chauffage, les chercheurs sont arrivés au but recherché: la surface de l’or présentait d’innombrables gradins parallèles, tous de même hauteur – exactement une couche d’atomes (0.24 nm) et de plus disposés à espaces réguliers de 5.8 nanomètres.

 
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Micrographie obtenue par microscopie à effet tunnel d’une chaîne supramoléculaire (à gauche) et représentation 3D de la chaîne de molécule et du modèle des deux éléments moléculaires alternés qui la composent
 

Des molécules de synthèse aux nanochaînes auto-assemblées

Il ne restait plus aux chercheurs qu’à vaporiser sous ultravide sur cette surface les composants de ces nanochaînes. Une de ces molécules a été synthétisées spécialement pour l’équipe de l’Empa par leurs collègues du Max-Planck-Institut für Polymerforschung à Mainz, et cela de manière à ce qu’elle forme le pendant de la deuxième molécule: à chacune de leurs deux extrémités les molécules présentent une structure qui s’adapte à celle de la molécule partenaire et leur permet de s’amarrer entre elles par des ponts hydrogène. Une fois cette déposition réalisée, Fasel et son équipe ont à nouveau examiné cette surface sous le microscope à effet tunnel.

 

Ce que les chercheurs ont alors pu voir est venu confirmer entièrement leur intuition. Avec de faibles concentrations des deux composants de la chaîne, il se formait sur chaque gradin une seule chaîne et à des concentrations plus élevées, un double chaîne. Les doubles chaînes présentaient même, avec des zones exemptes de défauts d’une longueur d’environ 30 nanomètres, une meilleure organisation que les chaînes simples; «probablement parce que les deux chaînes se stabilisent réciproquement» remarque Fasel. L’ensemble forme une sorte de grille à la surface de l’or, grille dans laquelle d’innombrables nano-chaînes se succèdent à espaces réguliers. «Notre étude est ce que l’on appelle une démonstration du principe par laquelle nous avons montré qu’il est possible de faire croître des chaînes supramoléculaires agencées parallèlement sur une surface – et cela sur des distances relativement grandes» déclare ce chercheur de l’Empa qui dirige cette étude dont les résultats seront publiés prochainement dans la revue scientifique «Angewandte Chemie».

 
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Microscope à effet tunnel sous ultravide avec lequel les chercheurs de l’Empa étudient les phénomènes de surface - tels que par exemple les chaînes supramoléculaires auto-organisées et autres structures similaires.
 

Ces chaînes supramoléculaires auto-assemblées présentent toutefois encore un défaut majeur: elles ne sont pas utilisables comme conducteurs pour l’électronique moléculaire car d’une part elles sont en contact avec un substrat métallique – de l’or – et que d’autre part elles présentent une conductibilité électrique trop faible. Les chercheurs de l’Empa mènent ainsi des travaux intensifs sur l’auto-assemblage de classes de molécules présentant une meilleure conductibilité pour réaliser des fils supramoléculaires sur des surfaces isolantes. De plus, l’intérêt porte aussi sur des molécules «commutables» qui pourraient dans l’avenir jouer le rôle de transistors dans ces circuits électroniques moléculaires auto-assemblés. Le but à long terme de ces travaux de recherche est, selon Fasel qui coordonne aussi les travaux du projet RADSAS («Rational Design and Characterisation of Supramolecular Architectures on Surfaces») financé par le 6e programme cadre de l’UE, de mieux comprendre et de pouvoir orienter l’auto-organisation moléculaire de manière à réaliser des applications non seulement en laboratoire mais aussi pour la production industrielle.

 


Contact:
Dr. Roman Fasel, nanotech@surfaces, Tel. +41 44 823 43 48,

Rédaction:
Dr. Michael Hagmann, Kommunikation, Tel. +41 44 823 45 92,