La destinée des ignifugeants bromés

Un carottage qui raconte des histoires empoisonnées

20 mai 2005 | REMIGIUS NIDERÖST
L’Empa a prélevé dans le Greifensee une carotte qui raconte la vie des ignifugeants bromés: une augmentation foudroyante lors de leur arrivée sur le marché, puis leur recul dès que l’on s’est rendu compte de leur toxicité et finalement l’augmentation explosive du produit utilisé pour les remplacer. Cette carotte sera exposée lors de la journée portes ouvertes le 25 juin 2005.
https://www.empa.ch/documents/56164/310388/a592-2005-05-23-b1x_bohrkern.jpg/5e84c3e2-b2f2-4de6-b680-b732db85c037?t=1448300558000
 

Les ignifugeants bromés empêchent efficacement l’inflammation des matières plastiques et des textiles. Cette protection se paie toutefois au prix d’effets secondaires indésirables: quelques-uns de ces produits chimiques industriels posent en effet problème. C’est pourquoi en Europe depuis plusieurs années on a en grande partie renoncé à leur utilisation. C’est ce que confirme le carottage effectué récemment dans le Greifense par l’Empa en collaboration avec l’Eawag. Après une augmentation considérable dans les années 1980, les quantités de ces ignifugeants sont à nouveau en légère diminution depuis 1995. L’Empa a toutefois découvert que les concentrations d’un produit de remplacement augmentent de manière inquiétante. 
Les ignifugeants bromés ne se dégradent que très lentement. Dans les lacs, ils s’accumulent et se déposent année après année dans les sédiments pour former ainsi une archive de leur histoire. En 2003, l’Empa et l’Eawag ont mis au jour cette histoire. L’Eawag a prélevé une carotte d’environ 150 cm au fond du Greifensee et a daté les «cernes annuels» de cette carotte par des mesures du caesium 137. Cet isotope a été libéré en grandes quantités lors des essais nucléaires soviétiques en 1961/62 ainsi que lors de l’explosion du réacteur de Tchernobyl en 1987 et il se retrouve dans les couches correspondantes de cette carotte de sédiments.
Après découpage en tranches et lyophilisation, les 42 cm supérieurs de la carotte sont finalement arrivés dans les laboratoires de l’Empa où les chercheuses et les chercheurs mènent des travaux intensifs sur les ignifugeant bromés. Dans le programme de recherche national PNR50 – Perturbateurs endocriniens: Importance pour les êtres humains, les animaux et les écosystèmes – ils étudient leur comportement dans l’environnement et développent des méthodes d’analyse pour leur identification.

POPs – des toxiques persistants dangereux
En laboratoire, les scientifiques ont procédé à la dissolution des substances présentes dans ces sédiments, les ont purifiées et ont analysés trois représentants des ignifugeants bromés qui diffèrent par le nombre d’atomes de brome que renferme leur molécule: le pentaBDE (cinq atomes de brome, l’octaBDE (hui atomes de brome) et le decaBDE (dix atomes de brome). Le pentaBDE et l’octaBDE font partie des toxiques persistants, aussi dénommés POPs (persistent organic pollutants). Les POPs sont des substances toxiques difficilement dégradables qui sont bioaccumulables, ou autrement dit qui s’accumulent dans la chaîne alimentaire.
Ces caractéristiques s’appliquent bien au pentaBDE et à l’octaBDE: ils présentent une activité hormonomimétique, agissent ainsi sur le système endocrinien, et ils sont soupçonnés de perturber le développement de l’homme et des animaux. Ils possèdent une durée de vie très longue; les courants aériens et marins les dispersent dans le monde entier de sorte qu’on les retrouve même dans la chair des ours polaires dans l’Arctique. Et dans la chaîne alimentaire, ils sont transmis des plus petits organismes jusqu’aux derniers maillons, l’homme et les carnivores. Le decaBDE n’est lui par contre probablement pas un POP, car selon les connaissances actuelles il ne serait pas bioaccumulable et de plus moins toxique.


 

 

 
90 KB
 

La carotte prélevée dans le Greifensee documente de manière impressionnante l’histoire des ignifugeants bromés. On y retrouve aussi l’histoire d’autres polluants: celle du PCB, un liquide utilisé comme isolant électrique, des dioxines qui se forment lors de la combustion de produits chimiques ainsi que du DDT, un insecticide. Toutes ces substances sont hautement toxiques et ont été interdites dès qu’on s’est aperçu des risques qu’elles présentaient.

 

 

 

Un produit de remplacement vraiment inoffensif?
Les résultats de l’analyse de cette carotte sont maintenant disponibles: en 1960 le pentaBDE et l’octaBDE apparaissent pour la première fois dans les sédiments du Greifensee. En 1995, leurs concentrations atteignent un maximum et elles diminuent depuis légèrement. Au contraire de cela, les concentrations du decaBDE augmentent de manière vertigineuse sur les vingt dernières années; leur quantité double tous les neuf ans.
La raison de ce développement à des causes politiques. Lorsque dans les années 1990, une interdiction du pentaBDE et de l’octaBDE se dessinait à l’horizon, en Europe l’industrie a renoncé volontairement leur emploi. En 2004 leur interdiction est entrée en vigueu dans l’UE. Depuis on utilise en remplacement le decaBDE, considéré comme moins toxique – et cela dans des quantités toujours croissantes.
Ce développement alarme les milieux scientifiques. Les résultats des premières études effectuées par l’Empa montrent que le decaBDE se dégrade dans l’environnement pour former des substances qui présentent des similitudes avec les toxiques que sont le pentaBDE et l’octaBDE. Ce produit de remplacement, supposé moins toxique, présente ainsi manifestement lui aussi des risques. Des projets de recherche subséquents doivent montrer quels sont les substances qui se forment lors de sa dégradation et comment ces substances se comportent dans les lacs et dans la chaîne alimentaire. De plus l’Empa et l’Eawag ont prévu de prélever d’autres carottes dans des lacs alpestres.

Rédaction
Dr. Bärbel Zierl,  Tél. +41 44 823 49 09,

Contact
Dr. Martin Kohler, Tél. +41 44 823 4334,
Dr. Peter Schmid,  Tél. +41 44 823 4651,