Béton corrosion

La structure de la „maladie du béton“ a été décryptée

30 oct. 2015 | DR. ANDREAS LEEMANN / DR. RAINER DÄHN / RAINER KLOSE
Quand ponts, barrages et autres ouvrages en béton se retrouvent striés de fissures sombres au bout de quelques décennies, c’est que la réaction alcali-granulat (RAG) est à l’œuvre. La RAG est une réaction chimique entre les substances présentes dans le béton et l’humidité qui y pénètre. Appelée aussi „maladie du béton“ dans le langage de tous les jours, voire „cancer du béton“, cette réaction chimique endommage les ouvrages en béton dans le monde entier. Elle oblige à procéder à de coûteux travaux d’assainissement ou de reconstruction des ouvrages concernés. Des chercheurs de l’Institut Paul Scherrer PSI et de l’Empa viennent de réussir à décrypter au niveau atomique la composition du matériau qui apparaît au fil de la RAG. Ils ont découvert un agencement atomique cristallin, inconnu à ce jour. Les scientifiques ont publié leurs résultats dans la revue spécialisée Cement and Concrete Research, le principal magazine de la recherche dans le domaine des matériaux de construction.
https://www.empa.ch/documents/56164/253620/a592-2015-11-05-b1x+Beton-Risse.jpg/b94d5cd1-ae5b-400a-9f33-2a9e462f7de1?t=1448295596000
 

La „maladie du béton“ : gros plan sur des fissures apparues dans le béton en raison de la RAG (réaction alcali-granulat). Image: Empa

 

Des chercheurs de l’Institut Paul Scherrer PSI se sont penchés avec leurs collègues du Laboratoire fédéral d’essai des matériaux Empa sur une détérioration du béton qui apparaît avec le temps : la RAG ou réaction alcali-granulat. Au fur et à mesure qu’elle avance, la RAG provoque l’apparition d’un matériau qui prend plus de place que le béton et le fissure lentement de l’intérieur au fil des décennies.

Les chercheurs ont à présent sondé la structure exacte de ce matériau. Ils ont ainsi pu montrer que les atomes y étaient agencés de manière très régulière et qu’il s’agissait d’un cristal. Ils ont aussi décrypté la structure de ce cristal : une structure dite en feuillet de silicium, qui n’avait encore jamais été observée. Les chercheurs doivent cette découverte à des mesures menées à la Source de Lumière Suisse SLS au PSI. Leurs résultats de recherche pourraient contribuer au développement futur d’un béton qui présente une plus longue durée de vie.

 

Problème mondial

La RAG est une réaction chimique qui touche tous les ouvrages en béton à ciel ouvert, dans le monde entier. Elle se produit lorsque le béton est exposé à l’eau, respectivement à l’humidité. En Suisse, par exemple, de nombreux ponts et près de vingt pour cent des barrages subissent la RAG. Ce sont les ingrédients de base du béton qui posent problème dans le cas de la RAG : le ciment – principal composant du béton – contient des métaux alcalins comme le sodium et le potassium. De fait, lorsqu’il pleut, par exemple, l’humidité qui pénètre dans le béton s’alcalise.

Le sable et les graviers forment l’autre ingrédient principal du béton. Ils sont eux-mêmes à base de roches minérales, par exemple de quartz ou de feldspath. D’un point de vue chimique, ces deux minéraux sont ce qu’on appelle des silicates. L’eau alcaline réagit avec ces silicates, ce qui entraîne la formation de silicate alcalin de calcium hydraté. Or ce dernier peut absorber l’humidité, et donc se dilater. Avec le temps, il fissure le béton de l’intérieur. Le terme de réaction alcali-granulat (RAG) désigne l’ensemble de ce processus.

Comme la RAG est une réaction qui se déroule très lentement, les fissures qui apparaissent en premier sont minuscules, invisibles à l’œil nu. Au bout de trois à quatre décennies, elles atteignent cependant une largeur impressionnante et finissent par menacer la longévité de l’ouvrage tout entier. „La plupart des ouvrages affectés aujourd’hui par la RAG ont été construits entre les années 1960 et 1980“, explique Erich Wieland, chef du groupe Systèmes cimentaires au PSI. „En Europe, la recherche a commencé à être attentive au problème de la RAG dans les années 1970 seulement.“

 

 
 

Image de microscope optique d'un grain de la roche dans un RAG endommagé béton. L'RAG a fustigé le grain de la roche. La fissure élargit progressivement et est rempli par le produit de réaction de l'RAG. Chaque fois que l'humidité pénètre, les houles de produits de réaction, exerce une pression et augmente à nouveau la fissure. Image: Empa

 

 

Un nouveau cristal

Même si l’on connaît depuis longtemps déjà les processus chimiques de la RAG, personne n’avait encore réussi à identifier la structure physique du silicate alcalin de calcium hydraté qui se constitue au fur et à mesure que la réaction progresse. Une lacune que les chercheurs du PSI et de l’Empa ont à présent réussi à combler.

Pour ce faire, ils ont étudié la substance d’un pont suisse bâti en 1969, très touché par la RAG. Des chercheurs de l’Empa y avaient prélevé un échantillon de matériau. Une mince portion de cet échantillon a été polie jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un échantillon de 0,02 millimètre d’épaisseur. Ce dernier a été exposé à un faisceau très étroit de rayons X –  50 fois plus mince qu’un cheveu humain –  à la Source de Lumière Suisse SLS. Des mesures de diffraction et une complexe analyse de données ont finalement permis aux chercheurs du PSI de déterminer précisément la structure cristalline du matériau. Il s’est avéré que le silicate alcalin de calcium hydraté présentait une structure cristalline en feuillet de silicium, qui n’avait encore jamais été documentée jusqu’ici. „Normalement, quand une personne découvre un cristal qui n’a pas été encore catégorisé, elle a le droit de lui donner son nom“, souligne Rainer Dähn, premier auteur de l’étude. „Toutefois, il faut que le cristal en question ait été découvert dans la nature. Nous n’avons donc pas eu cet honneur“, relève le chercheur en souriant.

C’est Andreas Leemann, chef du groupe Technologie du béton à l’Empa, qui a eu l’idée de l’étude actuelle. Quant aux chercheurs du PSI, ils ont fourni les connaissances en matière de méthode d’analyse par rayons X. „En principe, il est possible d’incorporer au béton des substances organiques qui peuvent réduire les tensions“, précise encore Andreas Leemann. „Nos nouveaux résultats permettent de doter ces réflexions d’un fondement scientifique et pourraient servir de base à de nouveaux développements dans le domaine des matériaux.“

Les photographies peuvent être téléchargées ici. https://flic.kr/s/aHskoNwE3a

 
 
 

 
 

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