«Nature Biotechnology» publie le génome complet du «champignon pour bois de lutherie» de l’Empa

L’améliorateur du bois décodé

15 juil. 2010 | REMIGIUS NIDERÖST

Une équipe internationale à laquelle appartient le chercheur de l’Empa Francis Schwarze a décodé entièrement le génome du schizophylle commun (Schizophyllus commune), un champignon lignivore fort répandu. Ce génome avec ses près de 13'000 gènes, publié récemment dans la revue scientifique «Nature Biotechnology», ouvre l’accès à une machinerie enzymatique unique en son genre avec laquelle ce champignon, qui provoque la pourriture blanche, décompose le bois par étapes – une propriété que le chercheur de l’Empa Schwarze a mise à profit pour améliorer les qualités sonores du bois de lutherie.

https://www.empa.ch/documents/56164/279891/a592-2010-07-15-b1s_genom_stopper.jpg/d49ac6ad-6dd6-4387-992c-c7d0296c8c99?t=1448298138000
 

Légende: Schizophylle commun (source: Wikipedia)

 

Les champignons sont des machines de recyclage parfaites; ils transforment la matière organique morte pour produire de l’humus riche en substances nutritives et sont ainsi, à côté des bactéries, les «décomposeurs» les plus importants. Pour cela, ils ont développé au cours de l’évolution des enzymes digestives très particulières qui leur permettent par exemple de décomposer la lignine et d’autres substances complexes des plantes ligneuses – une faculté presque unique dans la nature. Cependant, comme de nombreux champignons ne colonisent pas seulement la matière morte mais aussi des plantes vivantes, ils peuvent provoquer parfois des dommages importants dans les cultures de plantes économiquement importantes.

 

En décomposant certaines structures du bois, les champignons ne causent toutefois pas que des dommages, ils peuvent aussi bien au contraire améliorer certaines qualités du bois ainsi que l’a démontré Francis Schwarze dans son «Projet Stradivarius» dans lequel il se propose d’améliorer les qualités acoustiques des bois de lutherie que sont l’épicéa et l’érable – cela à l’aide de champignons lignivores tels que précisément le schizophylle commun maintenant décodé. Schwarze a déposés en 2006 déjà un brevet pour le procédé qu’il a développé à cet effet et en septembre dernier un violon «biotech» construit en bois traité par des champignons s’est révélé supérieur à un authentique stradivarius lors d’un test à l’aveugle.

 

 
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Formation de fructifications de Schizophyllum commune dans une boîte de Petri.

 

 

Un véritable expert dans la valorisation des hydrates de carbone
Schwarze place de grands espoirs dans le génome maintenant complètement décodé de «son» champignon. «Cette séquence génomique nous fournit des informations clés décisives sur les gènes de ses enzymes lignolytiques, autrement dit ses enzymes qui décomposent le bois. Avec ces connaissances nous pourrons modifier génétiquement des souches sauvages de ce champignon et ainsi optimiser et contrôler certains processus de décomposition bien précis.» Le génome de S. commune pourrait fournir là un riche matériel; selon l’analyse de son génome, il possède en effet la machinerie enzymatique la plus vaste de tous les champignons de la division des basidiomycota, qui réunit la majorité des champignons supérieurs, pour décomposer les polysaccharides – autrement dit les sucres à longue chaîne – ainsi qu’un mécanisme jusqu’ici unique pour décomposer la lignine. Cette grande variété enzymatique explique aussi pourquoi S. commune est aussi largement répandu; il peut, comme l’explique Schwarze, se nourrir à peu près de «n’importe quoi».

 

La «biotechnologie fongique», nom que donne Schwarze à ce domaine relativement nouveau, permet par exemple d’améliorer l’imprégnation du bois de sapin et d’épicéa – tous deux pas particulièrement durables ni résistants – avec des produits de préservation ou d’amélioration. Schwarze estime qu’il existe là un potentiel économique considérable, surtout en Suisse où la part des sapins et des épicéas dans les forêts dépasse les 60 pour-cent. Mais on peut aussi encore penser à des méthodes plus efficaces pour la production de carburants biogènes à partir de biomasse ligneuse.

 

Par ailleurs, les gènes qui contrôlent la formation des fructifications pourraient fournir des informations importantes sur les possibilités d’optimiser ce processus, par exemple pour les champignons cultivés. Une question qui vaut la peine d’être abordée si l’on pense aux 2.5 millions de tonnes de champignons de Paris, shiitake, pleurotes et autres produites annuellement dans le monde

 
 


 

Bibliographie
«Genome Sequence of the model mushroom Schizophyllum commune», Robin A. Ohm et al., Nature Biotechnology, publié en ligne le 11 juillet 2010 (DOI: 10.1038/nbt.1643); résumé