18e Apéro scientifique

La nanotechnologie – peu de clarté sur les risques

Jul 12, 2004 | REMIGIUS NIDERÖST
Des matériaux présentant de nouvelles fonctionnalités, des médicaments „sur mesure“ et des ordinateurs encore plus rapides, c’est ce que, entre autres, la nanotechnologie devrait permettre de réaliser. Bien que personne ne songe à mettre en doute l’utilité de cette nouvelle technologie on ne sait encore que très peu de choses sur les risques qu’elle peut receler. C’est aussi pourquoi le 29 juin l’Empa a organisé un podium de discussion sur le thème «La nanotechnologie entre chances et risques» où des experts ont mené une réflexion avec le public présent sur le comportement à adopter par l’industrie et les sciences face à ces risques potentiels.
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Les participants au podium de discussion, de gauche à droite: Dr. Annabelle Hett, Hans Näf (Bühler AG), Prof. Dr Louis Schlapbach (Empa), Dr Klaus Peter Rippe (ethik im diskurs).
 
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Prof. Dr Louis Schlapbach
  La réduction de la taille des objets est un développement normal, a déclaré le Directeur de l’Empa, le Professeur Louis Schlapbach, dans son introduction. Ainsi les puces d’ordinateur deviennent de plus en plus petites alors que leurs performances s’accroissent continuellement. Cette miniaturisation ne change toutefois rien aux modes de fonctionnement fondamental de ces minuscules composants électroniques.
 
Lorsqu’on pénètre dans le nanomonde tout devient différent; si l’on divise un matériau en particules d’une taille de l’ordre du nanomètre, ses propriétés peuvent changer totalement. Ainsi par exemple une substance insoluble devient soluble ou une matière électriquement isolante devient conductrice. De plus cette avancée dans le nanocosmos donne accès aux élément fondamentaux de la chimie et de la biologie et ainsi aux plans de la nature. Les nanotechnologues peuvent imiter ces plans et créer ainsi des matériaux nouveaux. Ces matériaux ouvrent à leur tour la voie au développement d’applications et de produits nouveaux. Par exemple des vernis résistants aux griffures, des vitrages autonettoyants et des médicaments «sur mesure». On trouve déjà aujourd’hui sur le marché quelques nanoproduits.
 
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Dr Annabelle Hett
 

La nanotechnologie nous concerne tous
«A long terme on ne trouvera aucune branche de l’économie qui ne soit pas en contact avec la nanotechnologie», c’est ce que prophétise le Dr Annabelle Hett, qui dirige un réseau de détection précoce des risques de la Société suisse de réassurance SwissRe. Les chances de cette nouvelle technologie sont énormes, mais: «nous devons tenir compte à la fois de l’utilité et des risques» a-t-elle déclaré. Une tâche qui concerne tant le milieux de la science et de l’industrie que l’Etat et la société.

 
Les avantages et l’utilité de la nanotechnologie n’ont pas été abordés car ils font une unanimité totale et positive. Toutefois les avis étaient assez partagés sur la manière d’évaluer ses risques potentiels ni comment agir face à eux. Ces experts étaient toutefois tous d’avis que des scénarios d’horreur du genre de celui que Michael Crichton décrit dans son livre «La proie», dans lequel des microrobots créés par des nanotechnologues font la chasse aux animaux et aux hommes, sont utopiques.
 
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Dr Klaus Peter Rippe
  «Il existe cependant des scénarios plausibles selon lesquels on peut s’attendre à certains risques» a déclaré le philosophe et éthicien Dr Klaus Peter Rippe, qui dans sa fonction de président de la commission fédérale d’éthique pour la biotechnologie est confronté à cette thématique.
 

Les nanoparticules sont minuscules et hautement mobiles. Si elles ne sont pas liées dans le revêtement d’une poêle téflon ou dans une peinture ou enfermés dans un écran d’ordinateur, elles peuvent pénétrer dans les voies respiratoires des hommes et des animaux et parvenir ainsi dans la circulation sanguine. La possibilité d’une absorption à travers la peau de ces particules est actuellement discutée. Ce que ces particules peuvent éventuellement provoquer et si elles peuvent nuire à la santé, on l'ignore encore, a relevé Louis Schlapbach. L’exemple de la firme Degussa qui produit depuis environ 30 ans une nanopoudre sèche en grandes quantités montre certes qu’apparemment l’exposition des travailleurs à cette nanopoudre n’est pas nuisible pour la santé, mais cette innocuité supposée n’est toutefois pas transposable à d’autres nanopoudres. Ainsi seule un grand nombre d’études d’exposition expérimentales sur l’animal et d’études toxicologiques permettront de savoir si la nanotechnologie est dangereuse ou non. Tout cela demande du temps et un certain risque résiduel demeurera toujours.

Eliminer les risques
Comment gérer cette incertitude actuelle? Pour l’éthicien Rippe, il faut envisager le pronostic le plus défavorable et appliquer le principe de la prévoyance. Ce qui signifie: Les nanotechnologues des sciences et de l’industrie doivent réfléchir aux risques possibles et prendre des mesures qui éliminent les risques potentiels. Selon Rippe, ce principe n’est pas incompatible avec le développement de la nanotechnologie.

 
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Hans Näf
  Qu’en est-il actuellement de la protection des travailleurs des entreprises qui produisent des nanoparticules? «Nous nous orientons sur les prescriptions de l’Institut für neue Materialien (INM) à Saarbrücken qui prévoient que la production doit avoir lieu en phase aqueuse» a expliqué Hans Näf de la firme Bühler AG qui produit depuis peu des peintures résistantes aux griffures par adjonction de nanoparticules. La question lancée par Näf «mais où sont les gens qui peuvent m’aider dans la minimisation des risques?» est demeurée sans réponse.
 
Hett ainsi que Schlapbach ont toutefois cités des exemples des efforts entrepris pour éclaircir les risques que peuvent éventuellement receler la nanotechnologie. Ainsi, a relevé Schlapbach, l’Office fédéral de la formation et de la technologie a demandé de l’aide à l’Empa dans le domaine des analyses de risques en biologie. Au niveau de l’Union Européenne aussi, quelques projets dans ce sens ont été lancés. L’éthicien Rippe déconseille d’attendre que l’Etat légifère en la matière: «Il s’est écoulé 12 ans jusqu’à ce que la loi sur le génie génétique entre en vigueur». Il plaide bien davantage en faveur d’initiatives concertées de la science et de l’industrie – et de préférence encore au niveau international. Selon les indications fournies par Hett de telles coopérations se sont déjà établies: «De grandes entreprises se forment actuellement en consortium au sein desquelles elle s’efforcent d’analyser leurs risques et de développer des systèmes de gestion des risques qui soient applicables.» C’est la première fois dans l’histoire qu’une intervention est aussi précoce avec une nouvelle technologie.
 
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Le dialogue sur les chances et les risques de la nanotechnologie a attiré un nombreux public à l’Académie Empa.
  Selon les avis exprimés par le public présent, le débat sur les émotions que suscite la nanotechnologie dans la population n’est pas suffisamment pris en compte. Peu importe que ces sentiments soient exacerbés par la presse à sensation ou le roman de science fiction de Michael Crichton, a déclaré Rippe, ils sont simplement là. A de telles émotions, il faut aussi réagir sur le plan émotionnel a exprimé un auditeur. «Si vous utilisez uniquement des arguments techniques pour lutter contre la peur et l’appréhension, vous vous embarquez sur la mauvaise voie».
 

Annabelle Hett est elle aussi d’avis qu’il est extrêmement important de porter un oreille attentive à ces émotions: «Si ces craintes amènent la société à refuser son soutien à la nanotechnologie, de nombreuses chances seront perdues»
Auteure: Sabine Olff
Rédaction
Sabine Voser, section Communication/Marketing, tél. + 41 44 823 45 99,

Les experts sur le podium:

Dr Annabelle Hett
Risk Engineering Services, Swiss Reinsurance Company
Après des études de médecine vétérinaire, Annabelle Hett a effectué sur une thèse de doctorat en radiologie et en médecine nucléaire. Annabelle Hett travaille depuis 2002 chez SwissRe où elle s’occupe de plusieurs projets en relation avec l’identification, l’analyse et la communication des risques.

Hans Näf
Bühler AG
Après avoir effectué ses études d’ingénieur mécanicien à l’EPFZ, Hans Näf est entré chez Bühler AG comme ingénieur de développement. Il est actuellement responsable des applications de la nanotechnologie dans la création de nouveaux produits et l’amélioration des produits existants.

Dr Klaus Peter Rippe
ethik im diskurs
Klaus Peter Rippe est philosophe et éthicien. Il est président la Commission fédérale d’étique pour la biotechnologie dans le domaine extra-humain et par là confronté avec les questions de l’éthique des risques et la nanotechnologie.

Prof. Dr Louis Schlapbach
Après ses études de physique à l’EPF de Zurich, Louis Schlapbach a effectué sa thèse de doctorat dans cette même école. Il est CEO de l’Empa et professeur de physique expérimentale à l’Université de Fribourg. Ses travaux de recherche, portent entre autres sur la nanotechnologie.

Ce dialogue était modéré par:

Prof. Dr Gerd Folkers
Institut des sciences pharmaceutiques, EPF Zurich
Gerd Folkers a effectué des études de pharmacie et sa thèse de doctorat à l’Université de Bonn.
Il passe ensuite son habilitation à l’Université de Tübingen. Il est professeur de sciences pharmaceutiques à l’EPF de Zurich t directeur désigné du Collegium Helveticum.


Que sont les Apéros scientifiques?

Dans ses Apéros scientifiques organisés régulièrement, l’Académie Empa aborde des thèmes importants par leur portée sur le plan scientifique ou de la société en général. Au cours de trois à quatre exposés d’une demi-heure chacun, des orateurs du monde de la recherche, de la politique et de l’économie présentent les résultats de leurs travaux et leur point de vue sur un sujet d’actualité. Après  ces exposés, les orateurs sont à la disposition des auditeurs, par forcément spécialistes de la matière traitée, pour répondre à leurs questions au cours de la discussion après les exposés ou lors de l’apéritif servi à la suite.
Le prochain apéro scientifique aura lieu le 23 août 2004 et aura pour thème «Quel est le degré de sécurité de nos chemins de fer?». Lieu : Empa, Dübendorf, Heure : 16.30. Il n’est pas nécessaire de s’inscrire